NET A VENDRE (pas cher)
Moi, j'aime bien les requins. Enfin je devrais dire, j'aimais bien les requins, ces grands poissons prédateurs souples, rapides et troublants. Mais depuis que j'en ai rencontrés en vrai depuis que je fréquente les salons consacrés au mâââârveilleux monde du on-line, je ne les aime plus. En fait, au lieu d'être couverts d'une peau de cuir, ils portent un costard-cravate du plus banal goût de chiotte. Au lieu de trimbaler une longue et puissante queue motrice, ils simulent une raideur plus cadavérique que caudale. Par contre ils utilisent le même sourire de prédateur sans pitié que le sieur requin. Le même je vous dis, avec les trois rangées de dents bien brossées, la langue râpeuse et l'haleine qui t(p)ue.
Ils sont là, tapis dans de petits box avec plein d'affiches colorées et de musique, ils vous sautent sur l'poil si vous passez trop près et vous attirent dans leur repère. Arggh ! Il vous faut bien une heure pour vous dépatouiller de l'étreinte visqueuse de ces prédateurs humains. Et encore, vous n'en sortez pas indemne. Vous repartez convaincu qu'il vous faut absolument un site web pour montrer à votre grand-mère et que pour la bagatelle de 1000 FF par page html, vous aurez un truc unique et qui ne ressemble à aucun autre parce que l'assurance de la qualité c'est nous et qu' on est les moins chers du marché et que en plus on vous promet d'être dans les délais et pas les autres... Bref, vous ressortez de là vidé, épuisé et rempli d'idées complètement fausses sur l'Informatique, l'Internet et le monde en général. Brrr, ça fait froid dans le dos des bestioles comme ça non? Pourtant vous en croisez à tous les salons et il y en a de plus en plus...
Au dernier salon, j'avais décidé d'ignorer ces créatures, voire même de les chasser si elles me faisaient chier. J'allais donc, le pas badin, la mine chantante dans ces allées bordées de box à l’intérieur desquels de sinistres individus, tous sourires me faisaient des clins d'oeil et des invites peu engageantes.
Quand soudain, un spectacle me paralysa... Vénus sortant des flots (en se baissant pour ramasser son peigne), ne m'aurait pas autant troublé.Une créature magnifique accoudée à une petite table semblait plongée dans la lecture d'un magazine informatique. Elle portait avec grâce un petit chemisier transparent légèrement entrouvert qui laissait agréablement suggérer une courbure de seins parfaits. La mini (ultra-mini) jupe noire qui complétait l'ensemble cachait mal le rebord foncé de ses bas. Bas qui soulignaient le galbe aérodynamique de jambes interminables. Ca c'était pour l'aspect vestimentaire. Mais vous auriez vu cette bouche, rouge et croquante, ces yeux noirs et profonds, cette chevelure couleur de blé, qui tombait en cascades dorées sur ses épaules. Ces mains fines, douces et délicates. Elle enfonçait sans nul doute toutes les Claudia et autre Elle de la terre. C'était une merveille de volupté. Je m'approchais...
Elle souleva la tête de son magazine, me toisa, reposa son catalogue (car c'était un catalogue), gonfla son soutien gorge et sourit en m'invitant à rentrer...C'est à ce moment que j'ai compris : C'était une femelle requin.
Elle avait le même sourire de faux-cul que ces mecs en costards.Je décidai quand même d'y aller, elle était vraiment trop belle. Elle m’installa sur un des sièges avec tous les égards d'une prostituée pour son client avant une pipe et commença à me demander ce que je faisais dans la vie et tout et tout. Je lui racontais la vie d'un de mes copains qui ne connaissait rien à l'informatique mais qui avait un gros chiffre d'affaire. Elle parut de suite intéressée. Elle m'assura donc qu'internet, c'était le futur, l'avenir et notre destinée à tous. Qu'entre 200 000 et 350 000 personnes en France étaient connectés. (Tiens? Jamais lu ça moi.). Que c'était à la portée de tous et partout dans le monde entier. Ensuite elle me prouva qu'il fallait absolument posséder au moins un site web et que le e-mailing était la solution à tous les problèmes de communication...
Je l'aurais regardée parler pendant des heures. Comment raconter autant de conneries en étant aussi jolie. Voilà qui me dépassait.
Elle m'a suivi la conne. Pour essayer de savoir ce qu'elle avait dit de désagréable, qu'elle pouvait de toute façon s'arranger pour me faire des solutions de prix intéressantes, etc..
Enfin, elle me prouva qu'on pouvait gagner de l'argent avec l'Internet. C'est là je crois où j'ai craqué. J'ai pris mon faux attaché-case en simili cuir, je me suis levé et je suis parti en lui disant que ça ne m’intéressait pas.
Finalement je l'ai soulevée (elle s'accrochait tellement à ma jambe droite que ça en devenait indécent), je l'ai regardé dans les yeux (qu'elle avait fort beaux d'ailleurs) et je lui ai demandé ce qu'elle pensait du Net. Si elle avait déjà éprouvée le frisson de la découverte de l'exploration du monde on-line.
Elle m'a dit que non, qu'elle ne s'était jamais connectée...