> NOVEL <

Paul"
Et la fin du Monde

Revint alors à l’esprit de Paul la raison pour laquelle il se trouvait dans cet endroit désertique, le 31 décembre 1999, le jour du Millenium. Alors que tant d’autres s’étaient préparés de longue date à fêter cet événement hors du commun, voire insolite pour certains, Paul se trouvait au milieu de rien. A un endroit ou ses pensées auraient pu se disperser sur cette neige qui n’existait peut-être même que dans son imagination. Il était loin de tout, et notamment de la sinistre agitation qui accompagnerait, dans quelques heures, l’aube du troisième millénaire. Paul était parti peu après le début des crises d’hystérie collective qui ressemblaient fort à celles qui furent si bien décrites par des centaines d’historiens. Mais cette fois-ci, tout serait différent, Paul le savait bien.

Paul se doutait qu’après la fin de son voyage initiatique au milieu du néant, il n’y aurait plus jamais d’historien, peut-être même plus d’histoire du tout. Il n’y aurait plus personne pour lire les millions de pages noircies de témoignages attestant de la genèse terrienne. Et même attestant de la Genèse tout court puisqu’il était d’ores et déjà inutile d’essayer de cacher la solitude de la Terre. Il n’y avait jamais eu que la planète Terre. Univers à elle seule dans son infinie petitesse. Ailleurs, il n’y avait que le néant, Paul le savait bien.

Paul repensait à tout ce qu’il avait quitté, il y avait quelques jours déjà. Il repensait à la Science, dont le principal échec n’était pas celui qu’on pensait. Elle ne sut jamais donner l’immortalité ni même transporter les Hommes aux confins de l’espace, à la recherche d’horizons nouveaux. mais là n’était pas l’important. L’important était que la Science n’avait jamais trouvé les origines du monde, elle n’avait jamais prouvé l’existence d’une raison, ce que d’autres ont appelé si souvent « Dieu ». Et pour cause : ni le Monde, ni Dieu, n’avaient jamais existé. Et cela, Paul le savait bien.

Le froid du néant se mobilisait autour de Paul comme un ennemi invisible. Il ne ressentait plus que de la souffrance pure, car il avait quitté son enveloppe charnelle en quittant ses semblables. Son pauvre corps qui resterait à tout jamais enfermé entre quatre murs gris capitonnés, aux fins fonds d’un mouroir pour aliénés. Paul s’en foutait éperdument car tout cela n’avait jamais existé. Il ne savait pas pourquoi il savait toutes ces choses. Il n’avait jamais entendu de voix venue de nulle part. Il s’était juste réveillé un matin, à l’époque où il était encore une type normal, et il avait su. Tout. Ils l’avaient enfermé, les autres, ceux par qui viennent toujours tous les malheurs. Il leur avait tout raconté, ils l’avaient pris pour un malade mental et l’avaient enfermé. Il s’était laissé faire car de toute façon, une évasion n’aurait rien changé. Il s’était contenté d’attendre de longues années, emprunt d’un fatalisme serein. Le soir de Noël 1999, Paul s’évada de son corps, pour toujours, pour partir en quête de sa propre fin dans le monde réel : le néant, noir, vide, froid et court-circuité d’hallucinations en tous genres.

Le 31 décembre 1999, à 23 heures 59 minutes et 59 secondes, Paul cessa de penser définitivement, s’intégrant de façon définitive au néant qui l’entourait depuis longtemps.

Une seconde plus tard, ce fut la fin du monde. La fin d’un monde qui n’avait sans doute jamais existé.

Gregory Boussard


> NOVEL <