> NOVEL <

Entretien avec Maurice G. Dantec, 18 mars 1996

by
Virgile Jouanneau
& Sandra Gabbai

dessins
Cyroul





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LeS oUrS :

J'ai remarqué un effet boule de neige sur les lecteurs. En général, après avoir fini Les Racines du Mal on veut le faire lire à d'autres.

Maurice G. Dantec :

Depuis quelques mois, on me dit pas mal ça. Ca évite des frais de publicité, c’est bien.

Après avoir lu Les Racines du Mal, on met en connection tous ces actes de violence isolés, dont on entend parler chaque jour. On a l’impression que cette vague de violence atteindra son paroxysme probable en fin de millénium. Pensez-vous que 1999 sera une année terrible ?

Moi, j’ai pris le truc à l’envers. Il y a un millénarisme, qui consiste à dire « En l’an 2000, tout va changer », et moi j’ai voulu retourner le probleme, càd montrer que l’histoire allait continuer. Ce n’est pas le changement de siècle en lui-même qui est important, c’est comment c’est interprété par les humains. Le fait qu’on passe soudainement le 31 à 00h de l’an 1999 à l’an 2000, n’a strictement aucun intérêt, ce qui est intéressant, ce sont toutes les interprétations que les humains vont en faire. Pourquoi ? Parce que c’est un chiffre symbolique, et que le millénarisme court dans la civilisation chrétienne depuis un millénaire voire deux. Il est possible qu’il y ait une sorte de « micro-apocalypse », comme je la décris. Mais ce sera uniquement parce que les humains l’auront décidé, par répercution de l’inconscient collectif. Je ne crois pas à une espèce d’horloge sacrée, divine, qui dira « Ah ! Le 31 décembre, tout doit exploser ! ». J’avais envie de me servir de ça pour montrer qu’en fin de compte, il est possible que ça se passe simplement parce que les humains auront pensé que c’est possible.
On parle de plus en plus de la violence. Est-ce que vous pensez que plus on en parle, plus y en a ?

Non. Moi je ne pense pas que plus on en parle, plus y en a. Je pense que plus il y en a, plus on en parle. Il y a quand même une tendance, aujourd’hui, à vouloir mettre sur le dos du cinéma ou de la télévision les crimes qui se passent dans le réel. Ca me semble être, de la part des politiques, la stratégie la plus vicieuse qu’ils aient mis au point depuis des années. C’est maintenant les artistes qui parlent du réel qui sont coupables à la place du réel. Là, on atteint quand même des sommets dans le politiquement correct. C’est même de la machination mentale. Dans ce cas là, on interdit Shakespeare, ou Homère, Dostoïevski, Kafka, que sais-je... qui n’ont fait que dire « attendez, je suis écrivain, je fais mon boulot ».
A priori, il faudrait distinguer entre le cinéma, les livres, qui sont des démarches d’artistes, et la télévision.
Mais moi je ne crois pas à cette démarche d’artiste. Je suis pour la suppression pure et simple du CSA. Je pense que c’est une institution absurde et liberticide. On dit « Ah ! Il ne faut surtout pas montrer de violence aux jeunes têtes blondes. Surtout pas leur montrer le monde tel qu’il est. » A savoir que les humains sont des enculés, que les politiques sont tous pourris, ... Il ne faut surtout pas montrer la cruauté. Il faut préserver leur soi disant innocence. Conclusion : on dit que c’est à cause de la télé si on tue. Je crois que c’est exactement l’inverse. Les mômes tuent. Les mômes ont toujours tué. Les enfants sont des assassins, comme les adultes. Alors, évidemment, dire ça, montrer ça... mon Dieu ! On est en train de mettre, justement, des écrans de protection qui ont un effet vicieux.
Mais pourtant, dans l’affaire des deux jeunes meurtriers de Gournay, ils ont cité Tueurs Nés et d’autres films violents comme sources d’inspiration de leur crime !

Oui, mais c’est comme si tu voulais interdire la circulation automobile sous pretexte qu’il y a des accidents. Il est certain qu’il existe des individus qui sont plus faibles que d’autres et qui face à l’impact psychique du cinéma ou des jeux vidéo ne vont pas être assez forts. Ce n’est pas pour autant qu’on doit empêcher toute une industrie d’exister. C’est quand même aberrant ! Ils ont peut-être joué à Doom, d’accord, ils ont peut-être vu Tueurs Nés, mais il y a des millions d’individus qui ont fait ça sans pour autant aller flinguer leurs voisins. Donc, faire porter la responsabilité de la violence humaine à ceux qui en parlent, c’est le moyen des politiques et des pouvoirs culturels de se dédouaner, de dire « Ah ! Mon Dieu ! L’homme est bon, il est perverti par tout ça ». C’est ce que je dis dans le roman. C’est exactement l’inverse. Je ne suis pas rousseauiste, je suis darwiniste. Je crois que l’homme est cruel et que ça fait partie de son programme parce que c’est un prédateur et qu’il a besoin de son instinct de tuer pour pouvoir survivre. Après, tout le problème est : comment les civilisations gèrent cet instinct de tuer.
« C’est en s’attaquant aux racines du mal que l’humanité aurait peut-être un jour la possibilité de se libérer de ses chaînes ». Vous pensez donc qu’il y a une forme de mal en chacun de nous.
C’est une phrase que pense Schaltzmann, dans Les Racines du Mal. Cette forme de mal est absolument nécessaire à la survie de l’humanité. Ca fait même peut-être partie du programme de la civilisation. Je suis un auteur de science-fiction dans le sens où je veux intégrer dans ma façon de voir les choses, la prise en compte de la complexité. Je crois aujourd’hui que les problèmes moraux sont traités d’un coup de sabre, avec le blanc d’un côté, le noir de l’autre, le bien, le mal, etc., par rapport à des référents moraux, très précis, très datés et très connotés. Ils ne fonctionnent plus. Pour autant, dans le bouquin, j’essaye de montrer comment justement le nazisme est pour moi non pas le mal, mais une perversion du mal, qui aboutit à son auto-destruction, d’ailleurs. Comme le communisme et toutes les idéologies de ce type là. L’humanité est obligée d’avancer comme ça, en zigzaguant sur une sorte de fil du rasoir, mais il faut prendre en compte les deux aspects de la personnalité humaine et les deux aspects des sociétés. Si on ne prend pas en compte ces deux aspects là, on les refoule. Et quand on refoule, ça revient au gallop. Je refuse d’avoir une explication définitive sur le nazisme et il me semble qu’on devrait prendre en compte ces aspects là. C’est ça qui fait l’homme, c’est pour cela qu’il y a de l’histoire.

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