08 Avril 1997

Menaces sur Mygale :
6000 webs francophones en émoi
(*)

Il a suffit d’un très court mail de Fred Ciréra, le créateur de Mygale, pour mettre en émoi plus de 6000 webs francophones. Historique d’une crise, la plus grosse qu’ait connu le petit monde de l’Internet français.

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Date: Wed, 19 Mar 1997 10:04:30 +0100 (MET)
From: Frederic CIRERA
To: mygale-info@mygale.org.annonce@mygale.org, flame@mygale.org
Subject: [AV] Important.

Les menaces sur l'avenir de Mygale se précisent Nous ne pouvons pas
continuer à utiliser la ligne RENATER (Réseau National de
l'Enseignement & la Recherche), pour quelque chose qui est orienté
grand public.

On cherche une solutions d'hébergement mais je ne sais pas si Mygale
répondra encore la semaine prochaine.

Fred.
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-- ACTE I --

A la mi-mars, un responsable de Renater (réseau national pour la technologie, l'enseignement et la recherche), qui assure la connectivité à l’Internet de Paris 8 et donc de Mygale téléphone au secrétariat général de la fameuse Université Vincennes-Saint-Denis.

Fred Ciréra, qui a mis en place au mois d’août dernier Mygale, un serveur d’hébergement gratuit à destination des associations et particuliers, dans le cadre de son projet de maîtrise, rétorque lui que « Mygale utilise moins d’un tiers de la ligne spécialisée de la fac, pas de quoi écrouler Renater ».

Quoi qu’il en soit, la DGRT confirme cette démarche de fermeture en envoyant, une semaine après, une lettre adressée au président de Paris 8 qui arrive à la fac aux environs du mercredi 19 mars. Des responsables de Paris 8 appellent la direction de la DGRT pour avoir de plus amples précisions. « Des plaintes vont être déposées pour concurrence déloyale » leur affirme M. Bigot. On est loin des raisons fallacieuses d’occupation de bande passante. Renaud Fabre, le président de Paris 8 exige alors une lettre officielle précisant ces véritables raisons. Qui n’arrivera jamais. En effet, cette louable volonté de crever l’abcès ne survivra pas à quelques heures d’analyse : Paris 8 est en pleine négociation pour ses divers budgets, et Fabre craint des retombées en cas de conflit trop dur. Finalement, l’Université usera de son influence pour retarder la mise à mort de Mygale : une semaine, et l’assurance de son appui pour faire installer une ligne spécialisée plus rapidement que la normale (moins d’une semaine), si Mygale trouve un financement. Quand on sait ce que coûte une LS de 2 Mo (plusieurs dizaines de milliers de francs par mois), on ne voit pas trop à quoi rime cette proposition.


Ecoeuré, Fred envoie son fameux mail d’annonce de mise à mort (voir plus haut). Du côté des Mygaliens, c’est la consternation. La mailing-list Bêta servira désormais à suivre la crise en direct (et à alimenter les hystéries en tout genre - on y reviendra). De 200 à 300 mails en moyenne y sont échangés chaque jour. Sur Mygale-Info, la lidie générale, c’est presque 700 mails en deux jours qui transitent... C’est la panique dans les rangs Mygaliens !

Parallèlement à cette frénésie, Fred, ses co-webmestres et collègues de fac cherchent à comprendre le pourquoi de cette décision aussi brutale. Les premiers soupçons se portent sur un certain Grimaldi, grand ponte du Minitel rose, reconvertit récemment dans le web avec sa société Telestore (www.telestore.fr). Il a déjà approché Fred, en particulier lors de la soirée Mygale précédante au Sous-Bock, et lui a amené une barrette de 64Mo pour décharger sa machine, souvent à la peine à cause du phénoménal succès. Il fait très vite des propositions de rachat. Et propose jusqu'à 1 million de francs pour récupérer les quelques 6000 comptes, et s’assurer ainsi une publicité sans égale. Il faut noter que pendant ce temps, Grimaldi récupère - et utilise - le fond d’écran de Mygale (l’ancien, rouge et sable) et dépose la marque Mygale à l’INPI, catégorie « Utilisation à des fins télématiques ». Tiens, tiens... Ce qui fera le plus douter Fred, c’est que le fameux mercredi, alors que la lettre de Renater n’est pas encore rendue publique, Grimaldi parle des problèmes de Mygale lors d’une petite visite à la fac, et parle d’un « groupement de providers qui trouve scandaleux ce que [Mygale] fait ». Néanmoins, son influence ne semble pas assez importante pour qu’il puisse causer une lame de fond aussi grosse contre Mygale.
Des pistes comme France Telecom, qui est le plus évident déficitaire commercial dans cette affaire, sont évoquées, mais sans preuve. En effet, l’utilisation de la ligne louée par Renater à Paris 8 est une aubaine pour Mygale : elle la dispense de la location d’une LS coûteuse (voir plus haut). Aujourd’hui encore, cette piste, bien que non-étayée, reste la plus probable.

Pour avoir des explications officielles, je tente d’appeler le directeur de Renater, M. Lartail, au nom de Planète Internet. Lorsque l’on tombe sur Sabine Jaume, sa collaboratrice la plus directe, Lartail est bizarrement tout le temps en réunion (dixit un journaliste de Libération, qui aura mis plusieurs jours à le joindre). Par chance, et en essayant plusieurs numéros différents, je tombe directement sur lui au bout d’une demi-journée seulement.

Le contenu illégal :
Mygale héberge en effet quelques sites warez, consacrés à l'art de "cracker" des programmes. Pour l'essentiel, il s'agit de liens vers d'autres sites extérieurs. « Dès que je prends connaissance de fichiers illégaux ou érotiques sur un site Mygale, je les supprime » explique Fred Ciréra.

Mygale n’aurait jamais dû être là ! Pourtant, à en croire Jean Méhat, le directeur de maîtrise de Ciréra, « Renater était au courant depuis le début, et la création de Mygale avait plusieurs justifications techniques réelles. Désormais, avec 6000 comptes, nous comprenons que la place de Mygale n’est plus sur Renater. Ce que nous contestons c’est la vitesse à laquelle on nous expulse. On nous aurait laissé un mois... ».

C’est vraiment là le dernier mystère de cette histoire. Que c’est-il passé soudainement dans les quelques petites têtes qui ont ordonné cette fermeture, pour qu’un tel harcèlement soit mis en œuvre aussi vite ? La survie de l’Etat était-elle menacée si Mygale restait deux semaines de plus dans les locaux de Paris 8 ?

C’est la réponse à cette question que j’aimerais bien trouver... Si quelqu’un a une idée....

Pendant ce temps, et alors que les protestations s’amplifient dans le petit monde des internautes français, la DGRT (direction générale de la recherche et de la technologie) confirme par lettre, le 24 mars, l’ordre de fermeture. Ce qui contraint Mygale à fermer l’accès à ses 6000 sites deux jours plus tard.

C’est HOL qui présentera le plus de garanties quant à la pérennité du service (parrainage, gratuité - contrairement à ce qu’affirmera dans le cahier Multimédia de Libération du 4 avril un Laurent Mauriac trop pressé d’annoncer la mort du web gratuit). Le service a donc repris depuis, et on attend quelques mois avant de donner un bilan de cette collaboration un peu boiteuse, mais forcée, d’une mission de service public (voire d’un devoir associatif), et d’une entreprise toute vouée au commerce (Havas nous voilà). Havas est prévenu : si jamais le groupe souhaite mettre à mal l’araignée, il sait qu’il lui faudra affronter plusieurs dizaines de milliers d’internautes furieux. Qui vivra verra...

Bientôt, l'Acte II, Mygale en procès...

Ressources :
Renater : http://www.renater.fr
DGRT : http://dgrt.mesr.fr:8000
Abus Renater : http://www.TBS-internet.com/abus/renater.html


(*) Version longue et plus subjective d’un article paru dans Planète Internet du mois d’avril. retour.

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